Science
17.07.2019
Le contexte, et en particulier l'empathie (ou non) des personnes présentes, module le ressenti de la douleur. Une équipe Inserm du Centre de recherche en neurosciences de Lyon vient de montrer quels mécanismes cérébraux sont à l'œuvre.
"La question initiale vient d'une constatation courante dans les services hospitaliers. Tout médecin ou infirmier sait que son comportement peut influencer le ressenti douloureux des patients. La reconnaissance de la souffrance, l'empathie peut diminuer la douleur" explique Camille Fauchon, chercheur au sein de l’équipe d’intégration centrale de la douleur chez l’Homme (NeuroPain) du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Lyon/Saint-Etienne)*. Restait à passer de cette constatation empirique à une évaluation scientifique du phénomène.
Cela s'est fait en deux temps. L'équipe a tout d'abord cherché à confirmer dans un cadre formel ce constat comportemental. Il fallait donc mimer de manière reproductible le comportement de soignants empathiques ou non, et tester l'effet sur le ressenti douloureux de volontaires sains. Pas question, en effet, de soumettre des personnes malades à des stimuli douloureux et à des commentaires négatifs dirigés sur leur douleur. "Nous avons fait appel à une troupe de comédiens professionnels qui ont joué des phrases écrites par les psychothérapeutes, selon trois versions : neutre, empathique ou non-empathique, avec des mots clés forts. Ces commentaires étaient enregistrés. Pendant l'expérience, la personne soumise à des stimulations douloureuses calibrées entendait les "expérimentateurs" parler dans la pièce à côté" précise le chercheur. Les sujets, qui évaluaient leur douleur sur une échelle de 100, étaient soumis à un stimulus d'intensité correspondant à environ 60, soit une douleur déjà bien présente mais supportable. Résultat de cette première expérience : les phrases empathiques diminuent la douleur ressentie d'environ 12%. "C'est tout à fait significatif : certains médicaments ne font pas mieux" insiste Camille Fauchon. En revanche, les commentaires négatifs augmentent peu la douleur, en tout cas de manière non significative. Le chercheur attribue cela à un mécanisme de défense : les sujets se protègeraient en arrêtant d'écouter...
Une signature cérébrale
Une fois la réalité du phénomène attestée, restait à comprendre par quels mécanismes cérébraux agissent les commentaires des soignants. C'est l'objet de l'expérience rapportée dans Scientific Reports. Cette fois ci, les sujets étaient installés dans un tunnel d'IRM fonctionnelle, soumis au même stimulus douloureux, et entendaient les mêmes commentaires empathiques, neutres ou non-empathiques dans le casque audio, laissé ouvert "par inadvertance".
Pour savoir où regarder, l'équipe s'est référée au savoir accumulé, à Neuropain ou ailleurs, sur la constitution de l'expérience douloureuse consciente. Celle-ci résulte de l'activité et de l’interaction de nombreux réseaux cérébraux spécialisés dans différentes tâches. Au premier niveau, le plus "bas", interviennent tout d'abord des aires chargées de la réception des signaux sensoriels – en l'occurrence nociceptifs – en provenance de l'endroit stimulé en périphérie. Ce signal est ensuite traité par des réseaux dits "supérieurs" dédiés à l'attention, la mémoire autobiographique, la conscience de soi, l'exploration du contexte, etc. "Ces régions de second ou troisième ordre vont donner tout le relief à la sensation douloureuse en intégrant des dimensions cognitives, émotionnelles ou liées au contexte" explique Camille Fauchon.
Et c'est bien l'activité de ces réseaux "supérieurs" – en particulier le cortex cingulaire postérieur et le precuneus – que les commentaires empathiques ont modulée lors de l'expérience. "Cela confirme qu'en modifiant le contexte par une attitude empathique, on modifie la perception douloureuse via le recrutement de réseaux cérébraux de haut niveau" conclut Camille Fauchon.
Le chercheur a d'ores et déjà lancé nouveau projet à NeuroPain, toujours dans le cadre de son exploration de l'empathie dans un contexte de douleur : il s'agira d'explorer comment les adultes décryptent les pleurs des nourrissons. Savent-ils faire la différence entre des pleurs douloureux et ceux dus à un simple stress ? Comment cela se traduit-il au niveau cérébral ?
Note : *unité 1028 Inserm/CNRS/Université Saint-Etienne - Jean Monnet/Université Claude Bernard Lyon
Source : C. Fauchon et coll., Brain activity sustaining the modulation of pain by empathetic comments, Scientific Reports (2019) 9:8398. https://doi.org/10.1038/s41598-019-44879-9